Le carnet ado.

Le carnet ado.
(12 clichés pour un siècle fini)

1

Je suis un paysan
Avec la réalité rugueuse
A étreindre

Il n’y a plus d’Orient
Plus de Lointains
Plus de Merveilles

Mais à en étouffer
La banlieue de nous-mêmes

2

Je suis un prolétaire
Pour intellectuel engagé
Espérant le Grand Soir

Je me rends au super Karl Marx
Pour y remplir
Mes trois caddies

3

Je suis un fonctionnaire
Pour journaliste libéral

Il suffit que j’ouvre la bouche
Pour que la manne tombe
Des doigts d’or
De l’Etat Providence

4

Je suis un étudiant
Au poing le drapeau noir
Ou rouge
Et le pavé plein de prestige

Dommage la Déesse
A troqué ses sabots
Contre une paire de Nike

5

Ils m’ont déclaré S.D.F.
Délogé de mon H.L.M.
J’ai déchiré ma carte du P.S.
Je n’ai plus droit au R.M.I.
Ni à la Langue.

6

J’ai franchi des Himalaya
Dans mon pardessus de Poète

J’écris dans le sabir
Qui sied à ma hauteur

7

Je n’ai pas su choisir
Il y avait trop de bruit
Les Beatles ou les Rolling Stones

Regardez-moi bien maintenant
Je suis Juif Chrétien Musulman
Bouddhiste Athée et Bouledogue
Mon lit est plein de mauvais ciel

Je change les draps
Tous les jours

8

Moi j’étais Globe-Trotter
J’ai vu Rebond
Relent Retour
Remord et Repentir

J’ai vu Regret
C’était plus beau encore

Je ne vous ennuie pas
Au moins

9

Je suis jeune et vous êtes vieux
Et j’ai le droit qui offre
Le bruit et la beauté

Je les garderai dans un coffre

10

Je ne suis pas plus folle
Que l’Autre

J’ai laissé tomber mes bijoux
Mes ongles vernis
Mes lèvres violettes

Je porte la cervelle nue
Avec un string

11

J’habite à Paris
Mais mon cœur est de la banlieue
Des paquebots échoués dans la boue des années 60
Des villes éventrées par le sabre des autoroutes
De l’ampoule allumée derrière un rideau de cretonne
Tandis que la radio à bennes
Déverse ses ordures

Je suis Absolument Moderne

12

Je suis de la rumeur
Des backrooms
Et des viols de crânes

Tournent les phares
De la DS
Sono à fond un ange crasseux passe
C’est le génie de l’urbanisme

Celui qui tombe à terre
Ne demande pas son reste

Août 1998.